L'univers hanté

Publié le par Camille Butterfly


— Grand-Père !

Une douce intonation fluette, surgie de nulle part, retentit dans la pièce. Je me tournai dans toutes les directions mais n'aperçus personne. Puis, une autre, tout aussi attendrissante, résonna plus distinctement sur ma droite :

— Grand-Pèère !

Malgré sa proximité, je ne distinguai toujours aucune présence près de moi, à l'exception d'un nounours usé, flottant à une hauteur de cinquante centimètres environ. De nouveau, une voix à la provenance invisible s'échappa juste derrière mon dos :

— Grand-Pèèère !

Tour à tour, les appels se succédaient tourbillonnant dans l'espace semblable à un écho épousant mon environnement. Mes trois petits-enfants aimaient me faire des plaisanteries depuis que je leur avais appris à devenir transparents. Bien que cet acte soit strictement réglementé, je les laissais libres d'en user le temps qu'ils sachent maîtriser cet exercice dans n'importe quelles situations, même les plus déstabilisantes. La connaissance des pratiques autorisées ou interdites viendrait naturellement plus tard avec le bon sens, et ils n'en manquaient pas.

— Je sais très bien où vous êtes et je vais vous attraper !

Mes mains balayèrent le vide provoquant des rires et des cris sporadiques autour de mes jambes, mêlés des nombreux claquements de chaussures courant sur le sol. Sous l'affolement d'être pris, ils redevinrent entièrement visibles les uns après les autres. Je pus ainsi les saisir sans difficulté et les faire tournoyer dans les airs pour leur plus grand plaisir, Sambla par-dessus mes épaules, Tommi la tête en bas, Piétro et son nounours en avion.
L'excitation passée, Tommi, l'aîné du clan si irrésistible avec ses grands yeux jaunes aussi ronds que des soleils radieux, me formula l'objet de leur convoitise.

— Grand-Père, on voulait te demander…

— Oui, je sais. Une histoire !

— Youpi ! Youpi ! Youpi !

Ils raffolaient de mes récits d'exploration. J'allai réveiller le livre du temps recensant mes périples à travers l'univers, et l'ouvris à une page au hasard. Un flux de petites étincelles s'enroula autour de nos corps, nous baignant dans un nuage légèrement piquant et tellement envoûtant qu'on se sentit immédiatement transposé dans une ambiance surnaturelle. Je fronçai les sourcils un peu soucieux.

— Oh oui, je me souviens de ce séjour très particulier… Peut-être pourrions-nous opter pour une autre aventure ?

— Oh non Grand-Père ! C'est ton grimoire qui l'a choisi, on ne peut pas contrarier sa décision. S'offusqua Tommi.

— J'ai peur que vous soyez encore un peu jeunes pour appréhender la perception correcte de cette expérience…

— Pas grave Grand-Père, tu nous la raconteras une seconde fois lorsqu'on sera en âge de l'assimiler comme tu l'entends !

Sambla avait parlé de sa sagesse simple d'enfant.

— Oui, voilà c'est réglé ! Dit Piétro enchanté.

Le rire s'empara de moi, je ne pouvais que m'incliner devant l'évidence.

— Alors allons-y ! Ce jour-là, mon instructeur m'avait proposé d'aller visiter un univers situé tout près du nôtre. Des rumeurs couraient qu'il était hanté, toutefois je n'en savais pas davantage à son sujet, alors j'avais hâte de le parcourir pour me faire ma propre opinion.

— Mais tu n'avais pas peur ?

— De l'appréhension, oui. Mais je n'ai jamais laissé la peur me dominer ou m'imposer une conduite, alors je suis passé outre la barrière de la crainte.

— T'as vu des fantômes Grand-Père ?

Piétro serrait sa peluche tellement fort contre son cœur qu'elle en avait les yeux tout écarquillés. Valait mieux que je mesure mes mots et choisisse une approche détournée pour ne pas le terrifier, sinon l'empreinte résiduelle de sa frayeur détournerait la migration de son esprit la nuit prochaine en une expédition pénible.

— Je suis arrivé dans un lieu assez étrange, c'était un univers composé de plusieurs planètes distinctes, cependant, le tout réuni ne formait qu'un seul et même corps indissociable avec, sur le plan interne, une interactivité entre ses éléments.

— Et qu'est-ce que t'a dit ce grand corps morcelé ?

— Eh bien, pas grand-chose ! J'étais bien trop novice pour entrer en relation avec cette entité supérieure même si j'en percevais l'existence. Par contre, j'ai pu observer ses corpuscules pour en sonder les profondeurs puisque certaines incohérences m'intriguaient.

— Comme quoi ?

— Sur chacun grouillait une vie intense mais complètement désordonnée, ce qui n'était pas naturel. Jusqu'au jour où la lumière se fit sur ce mystère… ces planètes n'en étaient pas en réalité !

— C'était des fantômes ? Susurra Piétro peu rassuré.

— Certains parmi nous les désignaient ainsi pour s'amuser ! Chaque planète était en vérité un habitant unique qui donnait naissance par le pouvoir de son imagination à tout un monde illusoire. Une sphère virtuelle alimentée des rêveries, des anticipations, des spéculations, des croyances, que l'auteur créait en parallèle de sa vie réelle. Toute cette construction s'amassait en un nuage vivant qui enfermait le responsable dans une bulle qui lui était propre. Il se retrouvait alors dans une dualité conflictuelle : le monde réel effectivement vécu, et celui qu'il extrapolait mentalement.

— Cela devait être drôle alors ? J'aimerais me construire un monde magique ! S'enflamma Tommi.

— Pas tout à fait. Cette création était purement fictive, loin de la réalité, le décalage que cela occasionnait ne procurait qu'un mal-être existentiel. D'autant plus, que cette productivité était en grande partie inconsciente et très difficile à contrôler. L'intéressé tournait alors en rond sur lui-même, isolé dans sa bulle, répétant toujours les mêmes choix, les mêmes erreurs, les mêmes circonstances dans sa vie, sans comprendre qu'il conditionnait lui-même ses attitudes et les événements en des schémas récurrents.

— Pourquoi ces habitants ne pouvaient-ils pas s'en rendre compte ?

— Parce qu'ils baignaient intégralement dans leur construction. Si tu étais un poisson immergé dans l'eau, il faudrait que l'on te sorte à l'air pour que tu prennes conscience du milieu dans lequel tu demeures.

— Et toi, tu pouvais le faire Grand-Père ?

— Oui, je venais d'ailleurs et ne pouvais pas être soumis aux phénomènes en cours dans cet univers. Suite à ce voyage, qui a servi à établir une évaluation des possibilités d'évolution, mon état-major a mis en place toute une structure hiérarchique afin de prendre en charge ce cosmos. Il est en bonne voie d'éveil aujourd'hui même s'il est douloureux de perdre ses illusions !

— Pourquoi est-ce nécessaire si cela fait mal ?

— Pour l'épanouissement individuel et la bonne cohésion de l'ensemble. Chacun était cloisonné dans son monde inaccessible et incompréhensible aux autres, au lieu d'avoir un univers commun et partagé par tous. Voilà, en avez-vous eu assez pour aujourd'hui ?

Mon trio me regarda perplexe.

— Oui, je me doutais bien que cette histoire serait difficile… mon grimoire va m'entendre !


FIN

Publié dans Conte

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M
Je continue l'exploration de ton blog ? JE SAVOURE...A plus!
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K
Tu es tombée de la lune, moi du ciel : bref nous sommes  tombées sur la tête !
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C
Ouille :0090: même pas mal !
J
Très joli. Ah, ces grands-parents, ils en savent des choses !  Amicalement,  Jyckie.
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C
De vrais puits de sagesse ! :0049:
T
Bonsoir Camille, et oui j'aime bien me ballader près de Tarascon ;) Je pensais ton blog abandonné aussi !Ton texte est superbe, tellement bien décrit dans la première partie lorsque le grand-père joue avec ses petits enfants. C'est magique, j'adore.A bientôt, Tessie 
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C
Merci Tessie ! :0053:
A
Le "Fin" me laisse sur ma faim........;)
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C
C'est tout pour ce soir les enfants, aller hop au lit ! :0036: