L'Enfant-Lune / Page 9
Je me réveille avec un marteau piqueur dans le ciboulot, autour de moi des comateux sont affalés un peu partout dans la pièce. Une odeur de café se faufile à travers les relents de dégorgements convulsifs mêlés de tabac froid et autres émanations illicites. J'atteins difficilement la cuisine, en proie à un vertige constant du haut de mes un mètre quelque chose.
— Salut les rescapés !
Seul un visage a le courage de se lever vers moi malgré le poids des excès de la fête.
— Salut ça va ?
— Ça tape.
Je me sers une tasse de noir bien corsé et me jette sur une chaise. Des casseroles sales et des restes de pâtes jonchent la table. Par la fenêtre, je reçois un bout de soleil qui s'éteint déjà. Des images se mélangent. Un regard… un aveugle… une enseigne… un chat… souvenirs fragmentés d'un périple agité. Une autre personne se joint à nous et se range dans mon voisinage.
— Je ne sais plus trop ce que tu m’as raconté hier. Tu m’as impressionné. Qu’est-ce que tu m’as dit ?
Il s’adresse à moi. Ah mon compagnon de soirée ! Ça y est, ma mémoire revient à elle. Je n’ai pas envie de lui parler.
— Sûrement rien d’important, j'ai oublié.
— Si, si, qu’est-ce que tu m’as dit ?
Il m'agace à insister, ce n’est pas le moment, je suis en sale état.
— Que t’es sacrément prétentieux à cause de ce que tu as connu, et ça ne te permet pas ton mépris.
Il écarquille les yeux, ce qui me permet de découvrir leur couleur malgré les rougeurs, résultats de cette nuit terrible.
— Pourquoi tu m’expédies comme un chien miteux ?
— Parce que t’es tellement révolté par ton passé, ce que tu as enduré, que t’es aigri de la vie.
Je ne sais pas pourquoi je suis si méchante, mais j’ai envie de m’en débarrasser. Peut-être que son vécu m'ouvre les veines et que je n'ai pas le courage de l'affronter. Il part claquant la porte et me maudissant dans sa tête. Bref, c’est le moment de disparaître aussi. J’ouvre le frigo sur le passage de ma sortie pour piquer un bout de fromage et du pain mais sans le vin.