L'Enfant-Lune / Page 10

Publié le par Camille Butterfly


A nouveau dans la rue, j’ai dû mal à reconnaître ces mêmes lieux arpentés la veille. Je me sens un peu perdue au milieu de l’inconnu. Le billet ! et ouiii ! ! ! Ce soir, Madame est invitée à une représentation théâtrale ! Je me dépêche, elle est peut-être commencée.

Un trait de foule sur deux rangées escargotte devant l’entrée. Je me bloque. L’affiche. Est-ce que je ne cours pas à ma perte si j’y vais ?

— Fuck, moi aussi j’aimerais bien voir une pièce, me distraire et prendre du bon temps. C'est réservé à cette société qui reflète l’argent et le bonheur, ces hommes et femmes si beaux dans leurs habits neufs, couronnés de coiffures parfaites comme si les mèches avaient peur de bouger et de négliger une image si académique. Fuck !

Un manchot mal fagoté, rapiécé, rejeté du monde, rêve à haute voix, assis dans l’ombre du trottoir. Je lui tends le billet. Il s'effraie un peu de mon geste en sa direction, probablement un réflexe révélateur d'anciens coups bien frappés.

— Tu vois ce comédien ? (Je lui montre l’affiche) Il veut me voler mon âme… Tu me raconteras?

— Promis. Dit-il, me dévoilant sa bouche édentée.

Il réajuste son pantalon et ses cheveux, et manque de se faire renverser dans sa précipitation à traverser la rue, ce qui le fait bien rire, il est visiblement joyeux. J'ai même droit à un clin d'œil complice.

— Tu restes là ?

J'acquiesce et prends place à côté de son barda de guenilles. Le sol est froid.

Autour de moi, des vitrines s’éteignent au fur et à mesure, un jeune couple se dispute, une femme traîne ses trois enfants dociles, un homme d’affaires se presse, un quadragénaire suit une lycéenne paniquée… La rue me livre des passages d’existences qui me renvoient mon sort tragique en plein cœur. Cela fait mal.

J'aurais voulu disparaître, faire le vide dans ma mémoire, oublier ces quelques heures écoulées sur Terre. Je pleure. Un coup de blues. On me jette des pièces qui tintent à mes pieds, ce qui n’arrange pas mon humeur et puis… ha ha ha ! J’éclate de rire.

Après tout, ma situation est plutôt cocasse, même à mourir de rire. Je ressemble à rien, j'arrive de nulle part, et tout me tombe du ciel, de l'argent, des amis d'un soir, et même une voyance sur mon avenir… Ha ha ha trouver un homme ! Pourquoi chercher ? Mon chemin n'est fait que d'hommes ! Quelqu'un a dû faire passer le mot assurément.

— Excusez-moi, vous connaissez le trajet pour l’hôtel « Le relais » ?

Un touriste, avec un gros sac sur le dos et des plans griffonnés plein les mains, m’interroge.

— Et un de plus !

Je m'écroule de rire. Ce qui prend le sens de la moquerie chez mon interlocuteur, car je reçois un odieux coup de pied dans le tibia. Je vais lancer quelques insultes lorsque la douleur me freine, je risque bien d'en recevoir davantage à la facilité dont le premier a été expédié. Je me masse la jambe. Ça m'apprendra à me croire tout acquis, celui-ci devait être destiné à me remettre à ma place.



Publié dans Nouvelle 1

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